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A
propos de Rémi Trotereau
Michèle Heng
Frédéric
Altmann
Eugène PAWLAK
Eugène PawlakPierre
Challier
A
la recherche de la bête originelle
par Gérard
Gaman (AZART)
Faut-il
interdire Rémi Trotereau ?
par Evelyne Toussaintpùk
Les
pièges à mémoire
par Claude Ber
Un blog pour en savoir plus....
-http://trotereaugalery.canalblog.com/
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Trotereau
Par Michèle Heng
aux Editions Alantica
Livre au format: 22X22cm
108 pages
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Rémi Trotereau est né le 26 janvier à
Vierzon dans une famille d’artistes et inventeurs. Il dessine
et modèle la terre dès son plus jeune âge, mais
se considère comme autodidacte, avide de tout essayer.
Il vit et travaille à Layrisse ( Hautes-Pyrénées).
Son œuvre couvre tous les registres :céramique,décors
de spectacles, sculpture, relief, peinture, gravure. Ses réalisations
plastiques puissantes et parfois dérangeantes s’inscrivent
dans un courant expressionniste tantôt figuratif, tantôt
allusif.
Les sculptures et reliefs décryptent les origines monstrueuses,
le monde primitif de l’indistinct passage de la bête à
l’humain, sorte d’archéologie tellurique et de germination.
Pour rendre cet univers de l’incertain, il se sert de résines
patinées de terres grumeleuses, se montrant ainsi créateur
de formes hors normes.
Sa peinture exploite le thème du corps, animal ou humain souvent
malmené et souffrant, le nu féminin sensuel ou écartelé.
Toutes ses thématiques s’expriment dans une gestuelle vigoureuse,
une écriture griffée souvent marbrée de coulures.
Il a une prédilection pour les couleurs des terres, ocres rouges,
bruns, noirs et joue beaucoup sur les valeurs. Quel que soit le domaine
plastique abordé, il montre un sens évident de la monumentalité.
Michèle Heng
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J'ai découvert pour la première
fois l'œuvre de Rémi TROTEREAU dans la galerie Otéro
à St Paul de Vence, le choc émotionnel fut immédiat.
mais attention pas de méprise ! il n'est ni Art Brut, ni Singulier
de l'Art, et il serait dommage de mettre cette œuvre dans un ghetto
quelconque, il fascine à juste titre par son indépendance.
Trotereau, explore la matière
avec force et conviction, reliefs mystérieux, matières
triturées, des œuvres venues d'un autre monde, d'une présence
indéniable. Avec des moyens, d'une grande simplicité,
Trotereau, a construit un monde qui ne laissera personne indifférent.
Fréderic Altmann - Château
musée de Carros
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Le remuant Rémi TROTEREAU
n'est pas un artiste au sens pompeux et académique du terme,
mai un véritable créateur en recherche permanente.
Apparemment destructurées, ses œuvres sont en fait solidement
construites selon une logique interne où se côtoient douceur
et violence, rupture et harmonie en un lyrisme qui devient parfois incendie.
Eugène PAWLAK - Conservateur
des musées de Tarbes
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Lentement, lancinante, l'œuvre
de Rémi Trotereau se construit autour de la souffrance. La sienne.
Comme celle du monde. De ces souffrances qui épuisent jusqu'au
cri même…pour ne plus laisser apparaître que le constat
de la torture, la béance des cicatrices, la porte de cellule
muette, murée, et d'où ne surgiront plus jamais ni lumière
ni réponse.
Entre peinture et sculpture, il érige ainsi un cœur au confluent
sanglant d'une croix, de sombres fentes infibulées, d'échines
écartelées. Mais si la pompe ne pompe plus rien, si les
sexes devenus infertiles s'interdisent d'accès et si l'échelle
de l'échine n'a plus d'origine ni fin, elles n'en débouchent
pas moins sur un mystère plus angoissant que celui de la vie.
Celui qui interroge sur l'origine même de la souffrance infligée,
puis de la mort, de la réclusion dans la douleur, de la déréliction.
Qu'y a-t-il derrière ces éviscérations violentes
et sans concessions ? Derrière ces herses closes qui surgissent
menaçantes de la toile ? Quelle partie inexplorée de nous
vient s'inscrire là ? Partie que nous refoulons loin et qu'il
nous dévoile soudain violemment au visage, à la conscience…Partie
insondable de cruauté que réveille pourtant toute guerre
civile ou religieuse ainsi que le prouve encore trop quotidiennement
l'actualité, lorsque le voisin se transforme en bourreau…
C'est aussi cela sans doute qui hante les toiles inquiétantes
de Rémi Trotereau. Quand l'habitant menaçant de l 'espace
que nous croyons y voir surgir en relief se révèle comme
pouvant être simplement tapi au fond du dédale de notre
inconscience, de notre inconscient. Lorsque l'indicible n'est peut-être
après tout que nous-mêmes. Cet autre, ce double, ce “mystère“
Hyde que nous cachons depuis si longtemps…
Pierre Challier
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Faut-il interdire Rémi
Trotereau ?
L'art de Rémi Trotereau
est absolument subversif. Ses travaux les plus récents sont,
une fois de plus, trop grands (raté pour le dessus de cheminée),
trop agressifs et dérangeants (impossible aussi dans le salon
ou la chambre à coucher). Ni art “conceptuel” intellectualisant
le sexe et l'effroi au point de nous autoriser à en supporter
les pires excès. Encore moins art de la “sublimation-esthétisation”,
qui permet quelquefois de réconcilier avec la peur et la mort,
par les vertus de quelque symbole ou icône, leitmotiv reconnu
de longue date pour son rôle réparateur et ses propriétés
apaisantes. Les œuvres de Trotereau sont tout le contraire de quelque
tentative que ce soit de réenchanter le monde, d'opter pour la
contemplation et le sublime ou la tranquille légèreté
de l'être. On peut tout de même, à bien regarder
ces chrysalides fossilisées et trophées informes qu'il
torture, brûle, mutile et emprisonne dans des gangues étriquées,
dont émergent des fragments incertains (sexes, viscères…?),
y lire un engagement.
Le constat d'une irrémédiable violence, la dénonciation
d'une oppressante aliénation sociale, politique, culturelle...
L'explication pourrait tenir, rangeant dans le camp ceux qui dénoncent
l'inhumain de l'humain et rappellent dans la colère que l'on
ne saurait donner dans la poésie après Auschwitz... La
découverte du travail de Rémi Trotereau impose un face-à-face
solitaire. Alors, les associations mentales se bousculent, jouent à
fond leur urgente mission, leur tentative de fonder tout cela en (dé)raison:
viol, infibulation, cadavre, mutilation, ossements, souillure, lacération,
brûlure, écartèlement, étouffement et puis
douleur, souffrance, impuissance, disparition et désespèrance…Seulement,
quelque chose, encore, échappe à l'interprétation.
Selon la théorie lacanienne, avant l'avènement du Symbolique,
avant le langage civilisateur, il a un Réel inconnaissable, faute
de mots pour le dire. Le Verbe est définitivement insuffisant
Reste alors, à l'artiste, à montrer. A charge pour nous
d'y oser notre regard. Au risque de la fascination. Au risque d'un art
sans dieu ni maître, le seul qui nous confronte au manque irrémédiable
et ravage nos tentations de certitudes, nos illusions de puissance.
Le dévoilement du pire. Heureusement, il y a des précédents:
visages ravagés d'antiques Méduses, gisants médiévaux
aux chairs ouvertes, grouillantes de vers, enfers et apocalypses en
tous genres, de Bosch à Dado, cadavres d'animaux suspendus et
sanguinolents ou leçons d'anatomie humaine de Rembrandt, et puis
Goya, Burri, Tapies, Velickovic et quelques autres... Qui ne nous ont
pas habitués, certes, à cet indicible, trop proche de
la folie pour que l'on puisse l'apprivoiser, mais qui font que l'on
sait le reconnaître dans ses surgissements. Avec les bienfaits,
après coup, de toute catharsis, et l'impérieuse nécessité
qu'elle engendre de passer de la jouissance mortifère à
la vie, au plaisir, à la conscience. En prime, il y a aussi du
style, de la belle matière. Des bois, des ivoires, cette toile
lisse et douce et transparente comme du parchemin qui attire la main,
des terres ocres qui évoquent l'Afrique et les déserts
d'Orient Des rythmes aussi, entre suites obsessionnelles et soudaines
ruptures. . . Qu'est-ce que l'art ? Tout cela, justement. C'est pourquoi,
sauf à les interdire, il faut regarder les créations de
Rémi Trotereau. Les exposer dans les lieux publics, les musées,
les centres d'art. Parce qu'elles sont insoutenables et nécessaires.
Evelyne Toussaint, historienne
de l'Art
Mai 2001
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Les pièges à mémoire
Rémi Trotereau plasticien
Dès l'initiale de mon parcours
j'ai écrit avec la peinture et la sculpture. Je dis “avec”
et non “sur”. Il m'est aussi arrivé d'écrire
“sur” dans un travail critique qui a ses fonctions et ses
vertus. Mais je le distingue de mon écriture d'écrivain
ponctuée de ces “paroles avec” quand formes, lignes,
couleurs, volumes convoquent mes mots comme réciproquement il
arrive qu'eux-mêmes les génèrent.
Les mots font image et se passent
d'elle autant que l'image fait sens sans eux, mais il arrive qu'ils
s'engendrent mutuellement et que quelque chose se passe dans ce lieu
frontalier où à la fois ils se distinguent et se joignent.
A ces rencontres ne président que le hasard et la subjectivité
et j'écris hier de Nan Goldin, d'Autard, de Bacon, de Scherbeck
ou de Franz Hals comme à cet instant de Trotereau dans la liberté
éclectique d'une “histoire de voir” détachée
de toute contrainte. Simplement parce que l'œil regarde aimante
soudain des mots et que vient le désir d'en déplier les
méandres.
Et, là, devant ces bas-reliefs
- car ce sont des bas-reliefs entre peinture et sculpture, participant
des deux quand la surface de la toile se bombe ou se creuse en une perspective
et une profondeur non plus figurées mais matérialisées
- devant ces hybrides en métamorphose je pense “ça
me rappelle” comme si l'expression était un sésame.
Ce “ça me rappelle”
ne parle pas d'une lignée plastique même, s'il en a nécessairement
une, explicitement revendiquée d'ailleurs (Tapiés, Michaux…),
mais d'autres choses que tous ceux qui évoquent ce travail énumèrent
aussitôt : échines animales, fentes infibulées,
herses de griffes et de crocs, chairs en décomposition sortant
de la toile, présences bestiales remontées d'une préhistoire
plus mentale qu'historique, tout un univers où torture, douleur,
violence, traces de rituel sado-masochiste et de sacrifices primitifs
rejouent les tensions d'Eros et de Thanatos et les conflits pulsionnels
d'un “unheimlich” qu'on ne peut pas davantage nommer que
le peintre ne le représente. Car bien sûr, rien n'est représenté
ni identifiable au premier dégré. Ce sont certes griffes
ou crocs qui ont l'air de saillir de cette crevasse de la toile, évoquant
la manducation et la lacération d'une primitive crainte de l'ogre,
du loup-garou ou du bersec, mais ce ne sont ni pattes, ni machoires
monstrueuses, “ça” les rappelle comme “ça”
rappelle ailleurs un sexe, une cicatrice ou une chair tuméfiée
et je dis “ça” au double sens de “cela qui
est donné à voir” et de ce qui est mis en œuvre
de l'inconscient de chacun du “ça” en chacun.
L'intérêt n'est donc
pas que “ça” rappelle dans une anecdote toujours
inférieure en puissance à la peur, au désir ou
à la répulsion qui accompagnent le fantasme mais que ça
rappelle, que ça ait cette capacité là de rappeler
ce qui a jamais existé en un jeu sur la mémoire qui ne
tient pas de la commémoration ni même de la trace mais
de l'appât et de la suggestion. C'est cela qui m'a accroché
l'œil, cette fonction de piège à mémoire qui
la lance dans ses propres labyrinthes.
A ce parcours chacun ne découvre
que ses fantômes y compris, pour certains sûrement, leur
refus effarouché, parce que finalement rien ne jaillit de ces
toiles éclatées par la violence d'une poussée intérieure,
rien ne sort de ces coques, cocons, paquetages et enveloppes hermétiquement
clos sur leur boursouflure. On ne saura pas, on ne verra pas ce qui
couve sous ces tumescences de peaux ou ces fentes scarifiées
et ficelées qui n'accoucheront jamais, ni ce qui se digère
derrière ces mandibules qui ne vomiront pas leur proie qu'on
suppose à peine engloutie, ni ce qui agonise prisonnier de griffes
ayant comme déjà enfoncé dans la terre un butin
vivant. Cela n'est jamais montré parce que non montrable. Ou
alors seulement comme scène à imaginer. Ce qui est visible
c'est justement ce fait de ne pas pouvoir/vouloir montrer, c'est ce
lieu où aussi fort que soit le désir de nommer, le faire
- en mots ou en images peu importe mais cerner, définir, saisir
- est impossible car ce n'est pas l'objet qui est en cause mais l'angoisse
ou l'agression ou la convoitise qu'il génère ou plutôt
qui le génère. ce sont les pulsions ou plutôt le
drame de leur déroulement sans fin renouvelé qui est représenté
sur une scène toile primitive elle-même bouleversée,
lacérée, détruite parce qui s'y joue sans pouvoir
se représenter.
Dedans il y a
Il y a dedans
Et ça doit sortir
Sortir ça doit
Ca veut sortir, ça doit ça veut exploser mais c'est contenu,
enfermé, enfoui
Sous une peau cousue
Sous la peau
la peau écran
Sous le cuir bosselé et déchiré ça doit
sortir
Mais c'est
Ca ne
C'est enfermé.
Et c'est pour ça qu “ça
marche”, parce que “ça” ne raconte rien en
ne cessant de raconter une histoire d'impossibilité de conflit
qui se résout là sur la toile-la peau-toile-cuir-carapasse
tendue etmartyrisée - une histoire de tensions et d'imaginaire
réconciliation
- entre le mort et le vif, bourgeonnement et décomposition quis'unissent
quand “ça” rappelle les chairs tuméfiées,
- entre douleur et jouissance quand “ça” rapelle
en même temps sexe et cicatrice, supplice et pansement,
entre animé et inanimé,
humain et animal quand “ça” rapelle cuir et peau
à la fois ou bien un violon-bœuf hybride d'instrument et
d'écorché ou bien une cosse-poisson où couve un
imaginable croisement ou bien ces pseudo griffes et dents jouant savamment
du leurre quand le faux- vrai clôt en tierce part le dilemme entre
mensonge et vérité, réel et illusion,
entre passé et futur quand la mémoire se dit avenir, que
la vie anticipe sur la mort qu'elle contient et que tout a liey juste
avantou juste après l'accomplissement sans jamais s'accomplir,
entre l'immobilité fascinée et la fuite, masse et mouvement,
sculpture et peinture quand le bas-relief fait sens de cette incertitude
par le jaillissement, la poussée, le bombement, les déchirures
qui crèvent la surface comme “ça” crève
les yeux ce qui se passe là sous les yeux…
“ça” crève
les yeux
Au point, comme les mots et le
mythe le disent à la lettre, de devenir aveugle
“ça” crève les yeux depuis l'origine de cette
histoire qui raconte une origine où s'entrecroisent la fable
et l'histoire, celle de l'individu, de l'espèce et du matériau
qui se confond avec elles et parvient par le travail, aux deux sens
de technique et de torture, à en recueillir une empreinte où
pieger la mémoire.
Août 2000 Claude Ber écrivain
Rémi Trotereau plasticien
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A la recherche
de la bête originelle
Le piémont pyrénéen est une région
verdoyante qui court de colline en colline, de prairies en pâturage
jusqu'au pied des montagnes. Le silence y est encore plus profond qu'ailleurs,
seulement troublé par l'Aigle botté, l'Epervier ou la
simple Buse. Cest dans un petit village que vit Rémi Trotereau,
sculpteur, peintre artiste atypique, un peu ours des montagnes.
Tête de gorgone surmontée d'une tignasse boudée.
visage mangé par une courte barbe poivre et sel de pirate. Rémi
Trotereau se donne volontiers des postures d'artiste maudit. Anxieux,
rongé par le doute, (tour à tour bourru et chaleureux.
grognon el disert, fêtard ou profondément solitaire,iI
cultive les paradoxes mieux que quiconque. Pas facile de démêler
les fils d'une vie pour cet artiste attachant, construisant contre vents
et marées une œuvre Expressionniste particulièrement
impressionnante, d'une rare puissance. Sculpteur, il a créé
un univers fantastique et troublant : "On pourrait dans son œuvre
établir un petit répertoire du musée des tortures
en comptabilisant tout ce qui coupe, qui déchire, ce qui entrave
et bâillonne ce qui dépèce ou écartèle,ce
qui brûle et racornit. Les matières, les textures, les
couleurs servent à dessein ce propos : l'important pour lui est
ce qu'on ne montre pas, ce qui est occulté, la tripe, le trivial,
le corps périssable", écrit Michèle Heng.
Il y a dans ce travail toute l'accumulation des siècles, les
souffrances. L'histoire fantasmée, les cris et les douleurs du
passé. À partir de la résine de synthèse
il récrée des formes qui disent le mystère de la
trace, cette recherche qui nous conduit dans les plis de nos mémoires
vers Ies grands mythes fondateurs. Loin de notre époque matérialiste,il
fouille, il creuse au plus profond, pour rechercher la bête originale.
Cette quête sans fin d'absolu, le conduit quelquefois dans des
impasses douloureuses, aux confins du tragique. Toujours, il repart
au combat avec l'obstination du guerrier. Fatigué, mais heureux
de faire naître ces formes hybrides, ces assemblages étranges
et monstrueux.
J'ai toujours envie de chercher ce qui nous met mal à l'aise,
ce que nous refoulons par peur ou par dégoût. Tu sais,
entre l'homme et l'animal, la frontière est ténue. Une
bête originelle est toujours là, prête à surgir
des profondeurs de notre inconscient. C'est ce que j'essaie de dire
sans pudeur, sans hypocrisie, sans aucune recherche d'élégance,
c'est un travail brut, violent, évidemment. Entre la carcasse
de l'animal et la nôtre je ne vois aucune différence..,
" nous explique-t-il. Dans la grange, qui ne connaît pas
l'angle droit, nous découvrons ces formes et ces volumes aux
couleurs de la terre universelle.
Une simple carcasse de mouton, ficelée et écartelée,
devient un être acéphale marchant de guingois, rejoignant
ainsi l'univers fantastique de Bosch qui l'avait tant fasciné
dans son enfance. L'emploi du tissu dans son œuvre n'est pas indifférent,
qui lui permet des allusions à la momification, à la guenille.
Le vocabulaire religieux et mystique assimile souvent le corps à
une guenille dont il faudrait se dépouiller, et ce mot de dépouille,
une fois la mort survenue, est univoque pour l'animal et pour l'humain'',
note encore Michèle Heng. Mais, si Rémi est un sculpteur
puissant, il est aussi un peintre hors norme. C'est cet aspect de son
travail que nous avons choisi de vous présenter.
Une délectation insistante sur les liens
qui pénètrent la chair
Depuis longtemps la grosse chienne Léonberg est affalée
sur le carrelage rustique. Elle écoute placidement l'artiste
nous raconter son parcours.
"L'école fut un calvaire. J'aime apprendre par moi-même
et j'ai toujours eu peur que quelqu'un m'oblige à faire quelque
chose. Alors… j'avais besoin de solitude pour fantasmer. J'ai
étudié le piano, mais c'est le travail de la matière
qui m'attirait. J'ai rapidement choisi ma voie, celle de cette matière
qui permet le repentir, mais surtout laisse des traces, plutôt
que le son volatile et éphémère. Mon père
fut meilleur ouvrier de France en décor céramique, et
très tôt j'ai été baigné dans un monde
où l'on côtoyait des artistes de toutes natures."
Sauvage , farouche indépendant, Rémi a toujours craint
d'être récupéré. Ce qui lui valut des rapports
pas simples avec les marchands. Aujourd'hui, il sait qu'il est passé
un peu à côté des choses, par cette peur panique
de l'embrigadement. "La dernière fois que j'ai exposé
à Mac 2000, j'avais présenté des nus…La galerie
Marie Viloux, qui suivait de près mon travail de peinture était
venue me voir, mais j'étais dans une période "faible".
Elle a été déçue. Peu de temps après
passe un autre galeriste expressionniste : Kowaleski qui me complimente
sur mes sculptures. Il se retourne vers les tableaux de nus en me demandant,
un rien condescendant - C'est bien ces sculptures, mais qui donc a fait
ces nus? - Vlan, j'avais compris. Je venais de passer à côté!
Le soufflé était retombé. J'en ai été
longtemps meurtri." Après ce passage à vide, il vient
d'emménager un immense atelier que nous eûmes le plaisir
d'avoir été les premiers à visiter. Rémi
a laissé la période de doute derrière lui, et il
s'attaque à la toile avec une ardeur nouvelle, faite d'énergie
et de violence trop longtemps contenues. "Toute ma vie, j'ai navigué
entre une très grande rigueur technique et la recherche fondamentale.
Tu vois un peu le paradoxe…Et je m'y perds encore."
Il déambule dans son nouveau lieu, qu'il n'a pas encore apprivoisé,
l'air désabusé "voilà mes repères artificiels.
Mes masques africains, mes poils de queue de vache : c'est tout ce qui
me fait vibrer. Regarde cette tête de taureau qui a été
tué à Biarritz…On a tous besoin de grigri et de
repère, non ?… mais puiser dans ce passé si lointain
est-ce bien sain ?", s'interroge-t-il à haute voix. Il me
faut deux mois pour préparer une exposition. Je travaille vite,
mais cette fois je vais peut-être faire différemment. La
branlette c'est bien, mais c'est stérile et ça ne remplace
pas l'amour…
Tu sais l'art c'est tout sauf un exutoire, il y a des maisons pour cela…"
Rémi est un écorché vif. Il traverse ces corps
et ce désastre à la recherche d'une vérité
disloquée. Son âme se sonde jusqu'à la mort. Nous
allons attendre les résultats de ses prochains travaux avec une
grande confiance. Le volcan qui est en lui va bientôt de nouveau,
se mettre en éruption. Il va cracher cette lave puissante qui
fera surgir la beauté de l'innommable. Lui qui aime tant jouer
avec les contraires et les paradoxes va nous offrir sa Passion. Ce n'est
pas rien!
C'est un des rares artistes que nous connaissions qui ait cette capacité
absolue de traiter la pathétique fragilité de la chair.
Bacon, Velickovic, Arickx, Correia… Tournons-nous encore vers
Michèle Heng, qui a si bien compris le sens de l'œuvre que
bâtit Trotereau.
"Dans l'Erotisme, Bataille avait différencié la sexualité
humaine de la sexualité animale par la possibilité de
transgresser les interdits. Trotereau montre bien l'ambivalence des
forces vitalistes et mortifères qui font du sexe un lieu de délices
aux couleurs délicates et un cloaque aux humeurs dégoulinantes
qui expose brutalement son existence biologique. Nous assistons à
une désacralisation du corps intime, à une délectation
insistante sur les liens qui pénètrent la chair ou les
stigmates de la douleur mêlés à la jouissance."
Le voici donc à la croisée des chemins. Rémi, qui
vient de passer le cap de la cinquantaine, dispose de tous les ingrédients
pour nous proposer une des plus puissantes peintures expressionniste
de ce début de siècle. Insoumis, têtu, attachant,
instinctif, il souffre actuellement de son isolement, même s'il
ne déteste pas le statut de l'incompris. Il nous faut remercier
Franck Briatte, collectionneur éclairé et discret, qui
a tourné notre regard en direction de l'œuvre de Trotereau.
C'est grâce à lui que nous sommes venus aux portes de Lourdes
pour cette rencontre unique.
Gérard Gaman
(AZART)
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